Spotlight Myrtille Beauvert présente Lionel Rogosin
À l’occasion du premier Meeting Point, rendez-vous saisonnier organisé avec la MEP, The Eyes a eu le plaisir de recevoir quatre chroniqueurs, qui ont partagé leurs coups de coeur et découvertes photographiques du moment. Retour sur l’un d’entre eux.
Événement The Eyes, Meeting Point / MEP
16/05/2019
Spotlight : myrtille beauvert PRÉSENTE Lionel Rogosin
Myrtille Beauvert est une attachée de presse qui travaille depuis plus de dix ans dans le milieu des arts et de la photographie, elle est aussi consultante pour des musées, galleries, festivals, maisons d’édition et artistes. Partie de Paris pour New York, elle travaille au développement de collaborations entre les deux côtés de l’Atlantique.
« J’ai découvert récemment, ou plutôt, enfin vu, le film du réalisateur américain Lionel Rogosin “On The Bowery”, sorti en 1956. Il était projeté au Anthology Film Archive, fondé par Jonas Mekas, ami de Rogosin avec lequel il a fondé le New American Cinema. Le fils de Lionel Rogosin, Michael Rogosin, présentait la projection, exceptionnellement accompagnée d’une série de photographies prises par son père autour du film entre 1953-55, et montrées au public pour la première fois. Ce ne sont pas des images de tournages, ce sont des portraits incroyablement forts des personnages qui habitent le film, une fresque des lieux, visages marqués et moments de vie qui composent la réalité bruyante, sale, vivante et tour à tour triste et chaleureuse du Bowery.
Rogosin, fils d’industriel élevé sur la côte Est, décide, après avoir travaillé quelques années dans la compagnie familiale, de combattre le racisme et le fascisme avec des films. L’un de ses plus célèbres sera “Come Back, Africa”, tourné en Afrique du Sud sous l’apartheid. Il choisit de s’entraîner en filmant les bas-fonds de New York et réalise, dans la tradition néo-réaliste, le docu-fiction “On the Bowery”. C’est le premier film américain à recevoir le Grand Prix du film documentaire au festival de Venise en 1956, et son influence a marqué de nombreux réalisateurs, dont Martin Scorsese ou John Cassavetes.
Le Bowery à la fin 19e siècle était bordé de maisons cossues mais l’arrivée du métro aérien a jeté une ombre littéralement sur tout le boulevard qui est devenu connu pour ses loyers bon marché et ses bars pas chers. Pour réaliser le film, Rogosin et son équipe passe des mois sur le Bowery, s’imprégnant de la vie des personnages qui y vivent dans des conditions d’extrême pauvreté.
Le film est tourné dans des lieux réels avec des personnages dont aucun n’est acteur. L’intrigue est minimale, il s’agit plus de dépeindre le quotidien des clochards et travailleurs qui peuplent les rues et bars du quartier. On suit 3 jours de la vie de Ray Slayer, cheminot encore jeune dont le visage n’est pas marqué par l’alcool, qui échoue sur le Bowery et se noue d’amitié avec Gorman Hendricks, un petit délinquant plus âgé, et sa bande d’amis ivrognes. Après une tentative de s’éloigner des bars et un bref passage à la Bowery mission, un centre d’accueil de sans abris qui existe encore aujourd’hui et qui est visible dans deux photos de Rogosin, Ray rejoint ses compagnons pour une autre nuit de beuverie. Au matin, il les quitte et Gorman le regarde s’éloigner en prédisant qu’il sera bientôt de retour sur le Bowery, comme la prophétie d’un destin inéluctable. Celle-ci semble s’être symboliquement accomplie puisque Ray, après avoir refusé des offres de contrats d’Hollywood, meurt quelques années plus tard, sans doute sur le Bowery. Gorman est mort quant à lui d’une cirrhose peu après la fin du tournage.
Rogosin est un réalisateur au langage visuel simple et plein de compassion. Il filme les personnages du film dans leur environnement, parlant avec leurs mots propres, pour rester au plus proche de leur réalité. Ses photos montrent ce même regard direct et empathique et leur réalisme cru est un hommage sans concessions au quartier du Bowery et ses habitants. Rogosin film et photographie des gens ordinaires qui se débattent avec des problèmes universels, alcoolisme, pauvreté, qui boivent leur vie pour y échapper. Les photos préfigurent et illustrent la collaboration, passive et active, des figures du Bowery et du photographe/réalisateur. »