Long live the glorious may seventh directive
The Eyes #9
10/04/2019
Long live the glorious may seventh directive
Entretien avec Jeffrey Ladd
Propos recueillis par Rémi Coignet
Comme la plupart des dictatures, la Chine a produit des livres photographiques de propagandes exaltant ses supposées réussites face au modèle occidental. La maison d’édition Errata Books a reproduit l’un des plus emblématiques, Long Live the Glorious May Seventh Directive, publié en 1971, à la gloire de Mao et des réussites du régime, tout en occultant ses horreurs. Retour sur cette imagerie et analyse de l’importance de sa diffusion sous forme de livre.
Rémi Coignet : Dans la collection « Books on Books » des éditions Errata dédiée aux chefs-d’oeuvre de l’histoire du livre photographique, vous avez récemment publié un volume dédié à Long Live the Glorious May Seventh Directive, ouvrage de propagande chinois de 1971. Pourquoi ce choix?
Jeffrey Ladd : Les éditions Errata voulaient proposer deux études de livres de « propagande » d’États communistes dans cette collection. Nous avons choisi le chinois Long Live the Glorious May Seventh Directive et le cubain A La Plaza Con Fidel. Ces deux livres témoignent de styles et d’approches différents dans leur imagerie- l’un provenant du plus grand pays communiste et l’autre du plus petit. La publication de Long Live the Glorious May Seventh Directive coïncidait aussi avec le cinquantième anniversaire des débuts de la Révolution culturelle de 1966, dont l’ouvrage original visait à vanter les vertus.
RC : Le livre glorifie la directive du 7 mai 1966 de Mao Zedong: pourriez-vous nous la résumer en quelques mots?
JL : La directive du 7 mai se référait à une lettre envoyée par Mao Zedong à son conseiller Lin Bao dans laquelle il déclarait que l’armée devait créer de « grandes écoles » (aussi appelées « écoles cadres ») dans les régions rurales. Les citoyens seraient obligés de s’y présenter pour étudier les affaires militaires et politiques et s’engager dans des projets industriels et agricoles majeurs. En réalite, ces écoles étaient de gigantesques camps de travail où les gens étaient rééduqués selon les « critères convenus de la pensée socialiste ». Mao estimait que des éléments bourgeois s’étaient infiltrés dans le gouvernement et dans la société et et qu’il devait, par cette directive, éliminer toute menace, y compris ses supposés rivaux au sein du parti communiste.
RC : De quelle manière ce livre vante-t-il la directive, et que ne montre-t-il pas?
JL : Par l’emploi d’un style photographique totalement empreint de réalisme socialiste, la vie sous la Révolution semble idéale? Les gens sont heureux au travail, le paysage est magnifique, les fruits de leur labeur multiples ; l’harmonie règne partout, la peur a totalement disparu ; et il y a aussi la notion de pouvoir collectif, si profondément ancrée dans la société que chaque citoyen a l’impression d’être un contributeur nécessaire. Ce qu’il dissimule est la réalité de millions d’individus envoyés dans ces écoles dirigées par des militaires, soumis à un dur labeur, à la torture, à la prison, aux humiliations publiques ou à l’exécution. Le nombre réel de personnes disparues pendant la Révolution culturelle entre 1966 et 1976 est controversé mais on l’estime entre 1,5 millions et 3 millions.
RC : En quoi, selon Errata, ce livre a-t-il la qualité de chef-d’oeuvre?
JL : « Chef-d’oeuvre » est un terme très subjectif dans la mesure où il se trouve des dizaines de livres de propagande chinois très intéressants. Mais Long Live the Glorious May Seventh Directive est surtout important parce que c’est un ouvrage imposant, qui se tient de bout en bout. Il y a d’autres livres plus beaux que celui-ci, mais peu d’entre eux sont aussi complets. Il a été publié pour célébrer le cinquième anniversaire de la Révolution et était associé à une importante exposition d’art et de photographie d’État. Cette dissonance entre le fait de marquer l’anniversaire de « succès » totalement fictifs et la terrible réalité le rend remarquable, même aujourd’hui, dans notre monde de réalités alternatives.
Long Live the Glorious May Seventh Directive
Books on Books #20
Essais de Chen Shuxia, Liu Ding, Carol Yinghua Lu Errata Editions, relié sous jaquette, 196 pages