De la photographie et de l’action privée

The Eyes #7

15/11/2018

De la photographie et de l’action privée

 

 

Texte de Ziebinska-Lewandowska

 

Du côté des institutions privées, la photographie polonaise se tient bien. Tel est le cas au moins depuis l’an 2000. Autant nombre d’institutions se montrent dynamiques et proposent des programmes ambitieux dans le domaine des arts visuels, autant dans le domaine de la photographie une régression est apparue en ce début du xxie siècle. Il y a de quoi s’étonner, dans la mesure où les musées polonais acquièrent des photographies depuis les années 1960. C’est à cette époque que sont apparues les prémices de la remarquable collection du Musée national de Wroclaw, que naquit le département de la photographie du Muzeum Sztuki de Lodz et, en 1972, qu’a été fondé à Cracovie le Musée d’histoire de la photographie, unique en Pologne. Mais dans un étrange concours de circonstances, ces institutions ont simultanément perdu de leur entrain en ce qui concerne la photographie.

La société civile fut et reste forte en Pologne : il suffit de se souvenir du phénomène Solidarnosc. Les fondations et associations dédiées à la photographie se multiplièrent d’autant plus rapidement que le ministère de la Culture admit bientôt les institutions culturelles privées à concourir de manière égale pour des budgets publics.

On peut diviser en trois catégories principales les organisations qui composent le paysage de la photographie en Pologne : les organisateurs de festivals, les conservateurs d’archives et les collectifs d’auteurs.

La première initiative de ce type fut le Fotofestiwal deLodz. Créé en 2001 à l’initiative d’étudiants et géré actuellement par la Fondation d’éducation visuelle le festival est dédié à la promotion de la jeune photographie. Il œuvre à l’introduction, en Pologne, des nouveautés de la photographie étrangère et veille sur les tendances et les réflexions dans le domaine de la photographie. Son directeur, Krzysztof Candrowicz, est une personnalité reconnue dans le monde.

À peine un an plus tard, Cracovie avait aussi son festival. La Fondation des arts visuels permit la création et le développement du Mois de la photographie, grâce aux efforts de Karol Hordziej, Tomasz Gutkowski et Piotr Lelek. Cette manifestation est aujourd’hui dirigée par Agnieszka Dwernicka. Le festival s’est fait un vrai nom dès ses premières éditions. Il a pour caractéristique l’élaboration d’une exposition expérimentale centrale, souvent confiée à un commissaire étranger invité, comme ce fut le cas en leur temps pour Adam Broomberg et Oliver Chanarin, pour Charlotte Cotton ou Aaron Schuman, faisant coïncider des présentations monographiques de classiques et des présentations de photographes contemporains.

Ces deux festivals, qui connaissent un succès crois- sant, assurent la promotion de la photographie polo- naise dans le monde et permettent au public polonais de découvrir les travaux de photographes internatio- naux marquants. D’autres initiatives de ce type voient le jour, comme le TIFF festiwal de Wrocław, réalisé par a fondation Blik.

La première fondation ayant pour but la préservation, et surtout la publication, du patrimoine photogra- phique fut la Fondation d’archéologie de la photogra- phie. Créée en 2008 à l’initiative, entre autres, de Karo- lina Puchala-Rojek elle est actuellement dirigée par cette dernière et par Marta Szymanska.

Elle s’est signalée dans le paysage culturel grâce à ses expositions et ses publications. On y trouve aussi bien de solides travaux historiques autour de Zofia Chometowska, Zbigniew Dlubak ou Wojciech Zamecznik, dont les archives sont confiées à la Fondation, que des projets reliant la photographie historique à l’art contemporain. Le projet Archives vivantes est mené dans la durée en collaboration avec de jeunes créateurs comme Karolina Bregula, Aneta Grzeszykowska ou Krzysztof Pijarski. En quelques années, la Fondation est devenue une institution de référence en ce qui concerne la popularisation d’archives photographiques, aussi bien vernaculaires qu’artistiques ainsi qu’en matière de conservation préventive.

La Fondation Arton, fondée par Marika Kuzmicz, a été créée sur un modèle similaire. Cette fondation se concentre sur les archives d’artistes de l’avant-garde des années 1960-1980, souvent encore en vie. On y trouve des auteurs connus comme Jozef Robakowski ou Wojciech Bruszewski qui furent à l’origine de l’Ate- lier de la forme filmique. Le principal mérite de la Fondation est la mise en lumière de créateurs aujourd’hui un peu oubliés, mais importants pour le vaste mouvement de la « néo » avant-garde en Pologne. Grâce aux expositions réalisées, à ses publications, à la numérisation et à ses films, la Fondation Arton a transformé de manière significative l’état des connaissances sur cette période artistique et le rôle qu’y a joué la photographie. Le modèle de fondation instituée autour de l’œuvre d’un seul auteur, généralisé aux États-Unis et fréquent en Europe, est encore peu populaire en Pologne. Cela peut se comprendre par la faiblesse du mécénat privé. La première initiative en ce sens fut la Fondation Zofia Rydet, créée par les héritiers de la photographe. Ses immenses archives sont progressivement traitées, et l’œuvre de Rydet est valorisée en coopération avec des institutions publiques.

L’une des dernières initiatives est l’Institut Jerzy Lewczynski, créé par Rafal Lewandowski. Son activité a commencé avec la publication de notes inédites de cette grande personnalité de la photographie polonaise et avec la réalisation de projets des photographes contemporains inspirés par l’œuvre de Lewczynski. La seconde est la Fondation pour le film et la photographie de Katowice qui a pour but d’animer des évènements photographiques, mais aussi de gérer des archives photographiques et cinématographiques. Dans la situation d’une organisation pluraliste de la culture après l’an 2000, le temps de nouvelles initiatives de créateurs est venu. L’une des plus dynamiques est le collectif de photoreporters Sputnik. Il s’agit d’un groupe de photographes polonais et de quelques pays d’Europe centrale qui ont souhaité se garantir une possibilité de réalisation de projets à long terme en toute indépendance de la presse. La structure leur permet le financement de projets communs ou individuels, ainsi que l’édition de travaux d’auteurs, dont certains ont reçu des récompenses internationales, parmi eux les 7 Rooms et The Winners de Rafal Milach, les Karczeby d’Adam Panczuk, ou l’œuvre collective Distant Place. Autre organisation du même type, la Fondation Imago Mundi a été créée par Lukasz Trzcinski et Andrzej Kramarz. Elle finance aussi bien des projets de photo- graphes individuels que des projets collectifs ou thématiques.

Les institutions privées ne peuvent cependant remplacer les institutions publiques dont elles sont complémentaires. C’est pourquoi il faut espérer que, sous la direction de Marek Swica, récemment nommé, le Musée d’histoire de la photographie de Cracovie va pou- voir revivre, tandis que l’on attend également des changements au Musée national de Varsovie ou chez d’autres détenteurs de grands fonds.


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