Sur une idée originale de The Eyes 

Tout commence par une phrase choc : « Il faut élever la jeune fille avec la pensée constante qu’elle sera un jour la compagne d’un homme. » Ce précepte, issu de l’ouvrage Ce que vaut une femme publié en 1888 par Éline Roch, pose les bases d’un traité d’éducation destiné à former des épouses modèles, mères vertueuses et gardiennes du foyer.

Près d’un siècle et demi plus tard, le duo artistique Elsa & Johanna s’empare de ces injonctions d’un autre temps pour en proposer une relecture contemporaine. Inspirées par ce manuel rigide, elles créent la série Les douze heures du jour et de la nuit, une suite de portraits en noir et blanc réalisée à l’argentique. Vingt-quatre figures féminines, incarnées par les artistes elles-mêmes, rythment ainsi les 24 heures d’une journée imaginaire.

Ce travail trouve une résonance singulière au château de Haroué, dont l’architecture symbolise le passage du temps : 365 fenêtres pour les jours de l’année, 52 cheminées pour les semaines, 12 tours pour les mois, 4 ponts pour les saisons. Dans ce décor chargé de sens, les 24 portraits-heures d’Elsa & Johanna s’inscrivent comme un nouveau calendrier visuel, où chaque femme – de Janice dans la salle de billard à 22h à Élodie dans la cuisine à 6h – incarne un moment et une atmosphère.

Maîtresses de leur image, les deux artistes explorent le pouvoir de l’autoportrait et de la mise en scène pour interroger la place des femmes et la construction des identités. À travers transformations, costumes et accessoires, elles deviennent successivement joueuses, rêveuses, sérieuses, séductrices… Une diversité de figures féminines qui contraste radicalement avec l’idéal unique et normatif imposé par le texte d’Éline Roch.

L’atmosphère de leurs clichés – toujours marqués par l’intimité d’un lieu clos – oscille entre solitude domestique et liberté assumée. Ces images, à la fois silencieuses et éloquentes, laissent le spectateur libre d’imaginer les histoires de ces femmes figées dans le temps.