MAISON EUROPÉENE DE LA PHOTOGRAPHIE

The Eyes #5

14/11/2018

La MEP : Une Collection Particulière

 

 

Texte par Étienne Hatt

 

Sans chercher à écrire une histoire de la photographie contemporaine, la collection de la Maison européenne de la photographie, grande institution parisienne, en pose les principaux jalons sous la forme d’ensembles cohérents et souvent uniques.

 

La collection de la Maison européenne de la photogra- phie est riche de vingt et un mille tirages. C’est à la fois beaucoup et peu. À titre de comparaison, celle du Musée national d’art moderne, élaborée elle aussi depuis la fin des années 1970, en compte près de quarante mille. Mais précisons que le fonds de la MEP est avant tout constitué de tirages de collection ou d’exposition et ne comprend pas ces contacts de lecture, essais ou contretypes – nombreux dans certains fonds du musée – dont la valeur est avant tout documentaire. Rappelons aussi que le spectre chronologique choisi pour cette collection est plus restreint, puisqu’il s’étend des années 1950 à nos jours. Jean-Luc Monterosso, qui, au sein de l’association Paris Audiovisuel a initié cette collection, le Mois de la photo et la MEP, ne fait pas mystère de ce choix : les années 1950 sont celles de « New York » (1956) de William Klein et des « Américains » (1958) de Robert Frank, deux auteurs qui ont « opéré une rupture radicale et fait basculer le moderne dans le contemporain ». Deux autres principes contribuent à définir l’identité de cette collection. Tout d’abord, le médium est appré- hendé dans son histoire spécifique et non dans son seul rapport aux arts moderne et contemporain. Ses multi- ples usages sont donc présents, de la photographie de guerre de Raymond Depardon aux tableaux de Patrick Tosani, en passant par les portraits austères de Marc Trivier ou les corps sensuels d’Helmut Newton. Par ailleurs, l’image photographique appartenant souvent à une série, la collection s’est attachée à réunir des ensembles. Ils reflètent davantage une écriture que ne le pourraient des œuvres isolées ou correspondent très exactement à des livres qui, au moins jusque dans les années 1980, étaient le support de diffusion privilégié des photographes. La collection comprend ainsi la tota- lité des images de « Tulsa » (1971) et « Teenage Lust » (1983) de Larry Clark. Une telle prise en considération du livre comme lieu de vie de l’image explique sans doute la présence dans cette collection de photographies de Henri Cartier-Bresson remontant pourtant à l’avant- guerre : elles furent publiées dans Images à la sauvette, livre daté de 1952 et ouvrage majeur de l’histoire du livre de photographie.

 

À l’image de la série des « Brown sisters », complétée tous les ans par la nouvelle photographie de ces quatre sœurs que Nicholas Nixon suit depuis 1975 et dont la MEP possède chacune des vues, ces ensembles sont régulièrement enrichis. Les acquisitions, mais aussi les nombreux dons, bénéficient autant à la création la plus contemporaine qu’à des photographes des décennies antérieures. Ainsi, c’est en 2011 seulement que furent acquises des photographies de Mai 68 de Gilles Caron. Ces ensembles constituent indéniablement l’originalité et la force de la collection, mais ils ne doivent pas faire oublier l’intérêt d’objets singuliers. En témoigne l’un des deux exemplaires au monde de la maquette en deux volumes de The Big Book, conçue par W. Eugene Smith entre 1959 et 1961. Défini par son auteur comme un « livre total », cet essai photographique aurait dû réunir, en brouillant la chronologie, quatre cent cinquante photographies issues de toute son œuvre et un texte. Mais W. Eugene Smith ne parviendra jamais à publier sa « déclaration d’artiste-journaliste au monde ». Si quelques grandes figures de la photographie dominent cette collection, cette dernière est aussi traversée par des dominantes géographiques. La photographie américaine, prépondérante de l’après- guerre au milieu des années 1970, est naturellement très présente. La photographie française l’est, bien évidemment, davantage encore. Plus surprenant, s’expliquant par le mécénat d’une entreprise nippone, la photographie japonaise constitue une véritable collection dans la collection que la MEP devrait exposer en 2017. Citons notamment les deux séries de Nobuyoshi Araki, « Sentimental journey » (1971), sur son voyage de noces, et « Winter journey » (1990), sur la mort de son épouse. Parmi ces ensembles géographiques, il en est un qui réunit des photographes de toutes nationalités : il s’agit bien sûr de Paris. Depuis 1984, des commandes permettent de multiplier les regards sur la ville, ses espaces, son architecture ou ses habitants selon la sensibilité du photographe. En 1984, Cartier-Bresson avait puisé dans ses archives de 1925 à 1979 pour présenter « Paris à vue d’œil ». Mais, dès 1986, l’Américain Ralph Gibson laissait flotter son œil surréalisant sur la capitale et proposait des images inédites, dans tous les sens du terme, de Paris.


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