MY SHADOW’S REFLECTION

The Eyes #9

6/11/2018

MY SHADOW’S REFLECTION

 

Par Marc Feustel

 

On pourrait dire de la photographie de prison qu’elle est un exercice pour rendre visible ce qui
a été spécifiquement conçu pour ne pas l’être. Un artiste qui choisit de travailler dans cet environnement doit s’astreindre à un ensemble de contraintes, dont la principale, selon Edmund Clark, est que « les gens disparaissent effectivement, lorsqu’ils deviennent des prisonniers ».

My Shadow’s Reflection (Le reflet de mon ombre) tente de perturber ce processus. À travers une exposition à la galerie Ikon à Birmingham et cette publication, Clark articule une approche protéïforme afin de percer la barrière qui sépare « l’intérieur » de « l’extérieur » et donc des ouvertures entre « notre » monde et « leur » monde.

Ce projet résulte d’une résidence d’artiste de trois ans au centre pénitencier de Grendon en Grande-Bretagne, la seule prison totalement thérapeutique d’Europe. Tous les prisonniers de Grendon ont demandé à y être envoyés et se sont engagés à suivre une thérapie de groupe intensive pour analyser et comprendre les raisons de leur incarcération.

S’il était interdit à Clark de produire des images susceptibles de révéler l’identité des détenus, le portrait n’en constitue pas moins le principal ingrédient du livre. A l’aide d’un sténopé et en pause longue, il a réalisé le portrait de chacun des participants pendant qu’ils répondaient à des questions sur eux-mêmes, leurs crimes, la prison et la thérapie. Ces images floues en noir et blanc ne sont pas assez précises pour montrer une quelconque ressemblance avec leurs sujets, elles donnent une impression fantomatique de chacun des prisonniers.

Ces portraits sont associés à quelques photographies formelles en noir et blanc de l’architecture de brique relativement banale de cette prison construite dans les années soixante. L’autre ingrédient visuel majeur du livre est bien plus surprenant : tout au long du projet, Clark a ramassé des fleurs et des feuilles sur les terrains de la prison, qu’il a ensuite fait sécher. Imprimées sur un papier différent, ces photographies en couleurs révèlent chacune une plante dans tous ses détails, jusqu’aux nervures des feuilles et aux pistils des fleurs, contrastant totalement avec les flous sombres des portraits au sténopé. Ce genre d’images se retrouve habituellement dans un herbier mais, dans ce contexte, elles sont comme autant d’invitations à considérer les conditions défavorables dans lesquelles ces plantes sont capables de pousser, et suggèrent une forme de beauté dans cette résilience.

La dernière partie du livre est un insert central de quatre pages de textes imprimées sur un papier vert pâle, la couleur des draps fournis par la prison aux détenus. Il s’agit des réactions des prisonniers face aux portraits de Clark. Les réflexions se suivent, anonymes et sans ordre, ponctuées par un simple glyphe carré qui évoque l’aspect fermé d’une cellule de prison. Elles vont de l’horreur ou du rejet à l’étonnement – le titre du livre provient de l’un des prisonniers qui a comparé son portrait à « une radiographie du reflet de mon ombre avec bronzage » ! Comme souvent chez Clark, le rôle du texte est crucial, dans la mesure où il pousse le projet au-delà du processus d’observation et de représentation, vers une forme de dialogue réflexif à même de lever le voile sur le processus thérapeutique suivi à Grendon, et d’interroger la nature et le propos de l’incarcération.