The Eyes #5

Tant qu’il ne touchait que la Grèce et l’Italie, ce phéno- mène ne suscitait qu’indifférence ou, au mieux, commi- sération dans les pays plus éloignés des frontières sud de l’Europe. Il aura fallu que les cohortes de l’exode syrien, irakien ou libyen, fuyant la guerre et la barbarie, se pressent aux portes de la Mitteleuropa pour que les gouvernements s’en préoccupent réellement et révèlent pour beaucoup leurs égoïsmes nationaux et électoralistes. Tel, ayant vécu derrière le Rideau de fer, dresse un mur de barbelé, tel autre organise par bus et par trains le transfert des réfugiés vers l’Allemagne qu’ils aspirent à rejoindre. Tout faire pour se débar- rasser du « fardeau ».

Face aux populismes de tous horizons politiques et de tous pays réclamant la sortie de Schengen, de l’euro, voire de l’Union européenne, la crise des migrants démontre par l’absurde qu’il nous faut au contraire plus d’Europe, plus de solidarité et de politiques partagées. L’Union est une construction inachevée, imparfaite, on le sait. Il faut la consolider et non la mettre à bas. The Eyes prend part à la réflexion sur les réfugiés plus que jamais inscrite à l’agenda de l’Europe : par le temps long de l’image dans la série de Samuel Gratacap sur le camp de Choucha en Tunisie, par l’actualité du photo- journaliste Federico Guarino qui, en septembre, a suivi le parcours des migrants de l’île grecque de Kos aux portes (fermées) de la Hongrie, enfin, par l’analyse politique du chercheur Yves Pascouau.

À travers l’exploration d’une nouvelle ville, Paris, nous affirmons encore la nécessité de l’ouverture au monde. Nous avons choisi JH Engström, artiste suédois, comme photographe contemporain emblématique de la cité qu’il explore depuis vingt-cinq ans. Ryuichi Ishikawa, lui, a trouvé la capitale un peu trop semblable à son image d’Épinal. Pour son premier voyage hors du Japon, il est donc parti à la rencontre des habitants de la banlieue nord. Enfin, nous accueillons le romancier et cinéaste Atiq Rahimi, réfugié politique afghan et prix Goncourt 2008. The Eyes, c’est la xénophilie, pour se souvenir de ce que nous devons à la Grèce.