Berlin, Beyond The Wall // Patrick Tourneboeuf et Laurent Gontier
Supported by The Eyes
Exhibitions
28/10/2019
Berlin, Beyond The Wall
Patrick Tourneboeuf et Laurent Gontier
La chute du mur de Berlin le 9 Novembre 1989 restera une date et un fait majeur de notre histoire. A l’heure du Brexit et du « Mur Trump », que nous enseignent aujourd’hui les stigmates de cette ville coupée en deux durant près d’un demi-siEcle, symbole de la Guerre Froide, du renouveau et de l’espoir d’un monde meilleur ?
En 1988, curieux de comprendre le pourquoi de cette frontière, Patrick Tourneboeuf effectue un premier voyage initiatique. Il y retourne plusieurs fois entre 1990 et 2016, d’abord à la recherche des empreintes laissées dans les paysages en mutation puis avec un regard plus aiguisé sur des détails insolites.
En Mai 2019, le projet s’achève avec la réalisation d’un dernier séjour qui lui permet de finaliser cette quête de l’invisible dans le visible. Accompagné du journaliste cartographe Laurent Gontier, ce voyage revient aux sources topographiques de l’emplacement exact du mur, prétexte pour le parcourir à pied et aller à la rencontre des hommes et de leur territoire.
EXTRAIT DE L’ARTICLE DE SONIA VOSS PUBLIE DANS The Eyes #10
De 1988 à 1990, peu avant la chute du Mur et immédiatement après, Patrick Tournebœuf se rend à Berlin et immortalise les prémices et les effets de ce qui reste l’un des moments les plus marquants de l’histoire du XXe siècle. Il y retourne en 2003 et documente cette fois les vestiges du Mur, qui participent à l’image d’un Berlin en pleine mutation.
Aujourd’hui, en 2019, que reste-t-il du Mur, symbole durant 28 ans d’un monde bipolarisé par la guerre froide ?
À voir les images qui constituent le troisième volet du travail berlinois de Tournebœuf, rien ou si peu. Un pont. Un chantier. Un champ bordé d’arbres. Une voie de passage, une zone en transition, une béance. Un mémorial, des balises assument seuls la charge pédagogique de rappel de l’histoire.
Or ici, les mémoriaux n’intéressent pas Tournebœuf. Il s’intéresse bien plus à la disparition silencieuse des traces de l’histoire récente. Effacement volontaire, voire politique ? Capitulation devant l’« ordre des choses », nature qui reprend ses droits, intervention des promoteurs dans les interstices de la ville, désir d’oubli des citoyens eux-mêmes ? Tournebœuf adopte le temps long de l’arpentage et établit un répertoire minutieux, opposant au lent travail de sape du temps un protocole patient et obstiné. Soit 536 points de vue sur les 50 kilomètres parcourus, révélant des lieux majoritairement sans qualité.
Cette mise au jour du passé, ou plutôt de son effacement, est menée avec le cartographe Laurent Gontier. Le paysage ne nous éclaire plus : c’est la carte qui va parler pour lui. À chaque photographie correspond ainsi un détail du tracé du Mur qui vient la doubler, investissant le vide des paysages d’une densité historique. Au-delà de sa fonction informative, la carte confère au projet sa puissance évocatrice. La photographie capture le réel, la carte déclenche l’imaginaire. Pour paraphraser Deleuze à propos des films de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, elle fait « se gondoler » la « terre déserte », fait vibrer le paysage en le remplissant de ce qu’il ne donne plus à voir. Et ce faisant, nous pousse à décrypter l’image, à chercher le point de vue, à nous positionner. Des indications manuscrites complètent d’ailleurs le dispositif et remettent la première personne au cœur : j’étais en ce point précis, tel jour à telle heure, voici où j’ai regardé.
Ainsi, la photographie, la carte, l’inscription s’associent pour constituer une vision en coupe où s’empilent présent et passé, vue à hauteur d’homme et perspective élevée du topographe, vertige du vide et matière de l’histoire.