BIZOS / CIESLEWICZ

Copyright A.Bizos/vu
Nina Hagen Berlin 1979
sÈquence 7/9

Copyright A.Bizos/vu Nina Hagen Berlin 1979 sÈquence 7/9

The Eyes #1

14/11/2018

BIZOS / CIESLEWICZ

 

 

Texte de Guillaume Frauly

Images de Alain Bizos, Roman Cieslewicz

 

Quand la photographie converse avec une autre forme d’art visuel : le spécialiste du design graphique Guillaume Frauly se prête à l’exercice en confrontant une photographie d’Alain Bizos et une affiche de Roman Cieslewicz.

Mettre en regard deux images qui, de prime abord, n’ont rien en commun est toujours un exercice intéressant. Le graphiste polonais Roman Cieslewicz aurait sûrement apprécié cette forme d’intertextualité. Faire dialoguer une photographie issue de la série de portraits de Nina Hagen avec ce collage du graphiste polonais intitulé Le Téléphone rouge aurait pu être l’initiative du graphiste lui-même, lui qui exerçait son regard critique sur les images du quotidien, digérant l’actualité en transformant des bouts d’images en compositions. Deux images, deux visages, deux expressions qui semblent opposés et pourtant si proches, à commencer par les dates de leur réalisation, au tournant des années 1980, tristement riches en événements politiques, guerres et révolutions.

Le portrait d’Alain Bizos date de 1979. Il fait partie d’une séquence de six photographies qui ont été prises à Berlin-Est, à la fin d’une soirée déjantée devant ce qui semble être un tube cathodique, vomissant des images, peut-être issues de l’Ouest. Cadrage serré, lumière artificielle, couleurs saturées à la manière d’un Lomo, visage outrageusement maquillé, agrandissement presque démesuré du sujet, illusion du mouvement dans cette série… ces portraits sont presque une signature de celui qui rejetait l’« esthétique décorative », éditeur de la fameuse revue Un Regard Moderne du collectif Bazooka. L’égérie du punk est-allemand s’abandonne devant son objectif, pose à la manière des Clash ou de la plupart des jeunes groupes britanniques de l’époque, provocant son interlocuteur, transgressant les codes. La serviette vert Trabant sur laquelle vient s’épingler la silhouette d’une pin-up des années 1950, nue, semble créer une frontière, une barrière qui pourrait représenter le mur qui la sépare de la culture occidentale. Rejeton rebelle issu de la nouvelle scène underground, elle parait pourtant crier son envie de faire partie du monde occidental, presque agressive, un peu sexuelle. Franchissant le Mur au gré des concerts, elle fut plus tard déchue de la nationalité est-alle- mande, et se rabattit sur la Pologne, où elle parodia Janis Joplin ou Tina Turner, une autre de ses icônes.

La chanteuse elle-même a l’air de s’amuser avec cette silhouette érotique, presque un pin’s maison −que l’on collectionnait à l’époque−, amplifiant l’expression de la laideur de ses attitudes déjantées. Le message est flou, recèle une part d’étrange et reflète un malaise…

 

Une autre métaphore du Mur

Chez Roman Cieslewicz, le jeu et l’absurde priment aussi. « Une affiche est bonne si l’on n’a pas trop parlé » aimait-il à dire… Intriguer sans révéler était l’un de ses leitmotiv, comme « lutter contre la pollution de l’œil ». L’oubli d’esthétique et le mystère qui s’en dégage sont communs à ces deux images. Graphiste « qui faisait parfois des affiches », il aimait effectuer des compositions non commerciales, quotidiennement, presque de manière boulimique, ne jetant rien. Il se battait d’ailleurs contre la masse des papiers éphémères, pratique découverte lors de son arrivée en France, en 1963. Figure de l’école polonaise, qui va allait révolutionner l’affiche culturelle, il se libérait souvent de la commande pour se jouer des signes, les juxtaposant, les télescopant, exerçant son regard décalé sur le monde et la poli- tique. Tout est énigmatique dans ce collage de 1982 : le visage et la posture de la « belle endormie », sûre- ment empruntés à Giorgione, à Hans Baldung Grien ou à un maître flamand, la muraille et ses créneaux moyenâgeux, et, surtout, ce téléphone rouge, qui a tant marqué la diplomatie internationale pendant la guerre froide, seul lien entre le Kremlin et la Maison Blanche durant des années. Comment ne pas y voir une autre métaphore du Mur, avec la présence de ces cordes entrecroisées de manière géométrique, qui semblent symboliser l’enfermement? Et cette brume jetée comme un voile sur la prison dorée? L’artiste lui aussi subissait ce double héritage visuel entre l’Europe de l’Est et la société moderne, ayant fait la plupart de sa carrière en France.

Deux images qui peuvent se compléter, se télescoper pour entretenir le mystère. Les deux artistes se rapprochent de l’esthétique cinématographique, de la loi des séries. Roman Cieslewicz aurait d’ailleurs aimé se frotter au cinéma. Deux exceptions, ayant débuté par la peinture, qui ont en commun la pratique de la photo, celle des couvertures de magazines (Actuel pour l’un, Opus pour l’autre) qui ont toujours donné leur vision du monde tout en s’amusant pleinement, sans révérence.


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